L'expérience de l'entreprise Le Bois Jumel face à la crise de la Covid-19

Publié le 09/07/2020

Le lundi 16 mars 2020, à midi, le Président de la République annonce le confinement de la France dès le mardi 17 mars midi, et pour quinze jours. Le Bois Jumel s'organise pour faire face à cette situation inédite aux répercussions tant économiques qu'humaines.

Informations sur le cas

PME (50 à <250)
Industrie

Présentation

Fondé en 1981, le Bois Jumel est une entreprise de travail adapté, organisé en 3 pôles :

- l’Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT) et ses activités professionnelles avec l’atelier de fabrication de confitures, l’atelier espaces verts et le parc animalier La Ferme du Monde ;

- l’Entreprise Adaptée et ses activités professionnelles avec l’atelier de fabrication de charcuterie, l’entretien des espaces verts et les aides palefreniers détachés en entreprise.

- le pôle service social, avec le foyer d’hébergement des ouvriers de l’ESAT, le service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) et une unité d’accueil à temps partiel.

Madame Rachel Bihan est directrice de l’établissement depuis septembre 2004.

www.boisjumel.com

Demande de l'entreprise

C'est l'Aract Bretagne qui a sollicité l'entreprise pour obtenir son retour d'expérience. Nous avons demandé à Rachel Bihan de nous parler de cette période particulière, des dispositions qu'elle a du prendre vis-à-vis de ses salariés et de son activité, et de nous faire part des difficultés qu'elle a rencontrées. Nous la remercions pour son témoignage.

Démarche

Qu’ont-ils fait ?

 

Organisation de la fermeture

« Dans cet établissement, la valeur travail est très importante. Ailleurs, les salariés sont rentrés chez eux et ne sont pas revenus. Ici, ce n’était pas entendable » explique Rachel Bihan. Des discussions avec les responsables ont eu lieu dès le lundi après-midi après l’annonce présidentielle. « Nous avons décidé de fermer proprement et de ne pas laisser l’établissement à l’abandon. C’était important pour moi de fermer l’entreprise en ne laissant rien en plan, en ayant prévenu les clients, et en terminant ce qui avait été engagé » poursuit-elle. Certains ouvriers sont ainsi restés travaillés quelques jours, de même que les responsables et les encadrants. L’urgence consistait à définir les modalités de fermeture, vis-à-vis des collaborateurs, mais aussi des clients.

 

Réponse à la panique

Les collaborateurs se sont bien sûr inquiétés de leur situation, de leur travail, de leur rémunération. « J’ai passé du temps à aller dans les ateliers et services pour passer les annonces » explique Rachel Bihan. Les réactions étaient variables : certains collaborateurs s’interrogeaient sur la nécessité de leur présence et les risques qu’ils encouraient. La majorité a compris la préoccupation de maintenir l’activité autant que possible pour maintenir les emplois.

 

Avec quels leviers ?

 

L’investissement de Rachel Bihan et de ses responsables a été un atout essentiel pendant cette période, aussi bien au niveau de l’organisation de la fermeture de la structure, que de la poursuite du travail à distance ou sur site pour quelques activités.

 

Organisation du télétravail

Le télétravail n’était pas une pratique courante avant cette période de confinement pour les équipes du Bois Jumel. La poursuite du travail a d’abord été organisée techniquement pour que les collaborateurs puissent partir chez eux avec leurs matériels et leurs dossiers. Ensuite, « il a fallu définir, avec les responsables, ce qu’on peut faire à la maison quand on est moniteur d’atelier espaces verts, quand on est charcutier… Je pars du principe qu’il y a toujours des choses à faire » insiste Rachel Bihan. Elle poursuit : « j’ai suggéré que c’était l’occasion de mettre à jour les projets individuels, les protocoles, les procédures... » Des missions claires ont ainsi été définies permettant la poursuite du travail par les agents.

 

Chômage partiel et accompagnement

Les ouvriers de l’ESAT ont été au chômage partiel. Beaucoup de temps a été consacré à leur accompagnement. Un suivi à domicile de ces ouvriers a été organisé, par téléphone, en plus du lien maintenu par le service social. Chaque ouvrier a reçu au moins deux appels par semaine de son responsable d’atelier ou de service.

 

Maintien de l’activité sur site

Quatre types d’activités ont nécessité l’organisation du maintien du travail sur site avec la mise en place de protocoles spécifiques dans le respect des gestes barrières et des distanciation sociales.

- Le foyer d’hébergement est resté ouvert pour les résidents qui souhaitaient s’y confiner. L’équipe a dû rester mobilisée. L’organisation du service social a été intégralement repensée : en l’absence d’activités professionnelles en journée, les effectifs de l’équipe ont été renforcés, alors qu’en temps normal aucun personnel éducatif ne travaille entre 9h et 17h.

- Un service minimum a été mis en place au parc animalier pour continuer de soigner et de nourrir les animaux.

- Le service administratif est paradoxalement le seul qui ne peut pas fonctionner en télétravail, pour des raisons techniques et matérielles. Un roulement a été organisé avec les agents volontaires pour poursuivre leur activité et ainsi limiter le nombre de présence par jour.

- L’atelier charcuterie a fonctionné avec une équipe restreinte pour honorer les commandes en cours.

 

Les difficultés

 

Le trop grand nombre d’informations

« Toutes les heures des e-mails arrivaient des Ministères, de l’ARS, de la Direccte, du Conseil Départemental, des organisations professionnelles, de mon réseau, avec pour chacun d’eux plusieurs pièces jointes. Il fallait faire le tri, c’était très chronophage. Et même temps, j’avais besoin d’être sur le terrain pour répondre aux questions et aux inquiétudes. Comment répondre aux questions si je ne peux pas prendre le temps de m’informer moi-même ? ». Rachel Bihan souligne cette difficulté de trier les informations, de gérer les directives. La particularité de son établissement a rendu la tâche encore plus délicate : les activités du Bois Jumel relèvent de plusieurs statuts distincts, pour lesquels s’appliquent différentes réglementations.

 

Les scénarios catastrophes des médias

« Ce qui m’a pourri la vie, et le mot est faible, c’est la mise en boucle de scénarios catastrophes par les médias. Il m’a fallu beaucoup rassurer les agents présents sur site, leur expliquer que j’avais besoin d’eux et que je mettais tout en œuvre pour assurer leur sécurité ». Rachel Bihan témoigne de sa difficulté d’encourager les collaborateurs au maintien d’une activité minimum sur site alors que les médias et le Président de la République répétaient de rester chez soi, culpabilisaient les citoyens qui sortaient.

Elle souligne que l’encouragement du gouvernement à la reprise économique a été tardif, et qu’il a été parfois difficile de rassurer les collaborateurs.

 

Les protocoles et les mesures sanitaires

La mise en place des différents protocoles sanitaires a nécessité de nombreuses heures de travail. Ils ont été définis, puis expérimentés et sont ajustés chaque jour en fonction des situations et de l’évolution des directives nationales et régionales.

Concernant l’équipement de sécurité, le Bois Jumel a pu compter sur son stock interne d’équipement agroalimentaire pour équiper immédiatement les collaborateurs présents sur site.

 

Bilan

Pour quels effets ?

 

L’organisation de la réouverture a très vite été la préoccupation majeure de Rachel Bihan pour limiter l’impact économique et sur les emplois de cette crise. Elle a mobilisé les agents pour permettre le retour des ouvriers dès le 14 avril, et ainsi assurer un minimum de commandes et de prestations. La satisfaction du client est restée au cœur de la démarche du Bois Jumel, essentielle à la sauvegarde de l’activité et des emplois.

 

Ce que l’on retient

 

La cohésion d’équipe dirigeante et encadrante

Plusieurs atouts majeurs ressortent de cette expérience. D’abord, la cohésion des responsables d’atelier et de service avec la direction. « Ils ont été un vrai relai, tous, au niveau de l’organisation et de la motivation des ouvriers à reprendre l’activité. Ils ont compris la masse de travail qui me tombait dessus et que je ne pouvais pas faire sans eux » explique Rachel Bihan qui souhaite vivement que cette cohésion de responsables perdure et se renforce. Elle estime qu’il est essentiel de « montrer qu’on est une vraie équipe, qu’on fait corps ensemble et contre les aléas ».

 

Le soutien des pairs

Rachel Bihan souligne le soutien reçu de son réseau de directeurs d’établissement, ces pairs qui ont eu à gérer, chacun dans leur établissement, les mêmes problématiques. Les échanges permanents ont permis de confronter des expériences et de soutenir des prises de décisions, d’envisager des solutions nouvelles.

 

L’engagement des collaborateurs

Rachel Bihan se réjouit de l’envie, de la conscience professionnelle, de l’investissement qu’elle a pu constater au sein des équipes. La valeur travail a été un atout crucial au sein de l’entreprise. Elle représente donc un enjeu majeur pour demain et sera la pierre angulaire du prochain projet d’établissement. Par ailleurs, cette période a été révélatrice. Les ateliers ont expérimenté des délégations qui ont révélé des potentiels, des talents, de prises d’initiatives inattendues qu’il convient de prendre en compte maintenant. Une grande capacité d’adaptation de la part des ouvriers a aussi été mise au jour, au-delà des attentes.

 

Et après ?

 

Les réunions de coordination qui se tenaient avant la crise, ont été maintenues et se poursuivent. La crise sanitaire reste un des sujets phares lors de chaque session qu’il s’agisse de préparer l’après ou de faire ressortir les premiers enseignements de cette expérience. Un bilan sera partagé lors de la prochaine réunion générale d’établissement.

Pour Rachel Bihan, cette période aura marqué tout le monde, sur le plan personnel et sur le plan de l’établissement. « On est encore dedans mais Il y aura un avant et un après. » La préoccupation économique et humaine reste prégnante. La reprise a été préparée au mieux, mais les commandes au niveau des ateliers de production ont été quasiment nulles pendant trois semaines. Elle ajoute « notre particularité est qu’on relève du secteur médico-social, donc on ne bénéficie pas des aides allouées aux entreprises ». La gestion de la situation financière de l’entreprise sera donc au premier plan ces prochains mois.